Une jeunesse allemande de Jean-Gabriel Périot

 

Jean-Gabriel Périot revient, à partir d'images d'archives, sur le parcours et la radicalisation progressive des membres de la Fraction Armée Rouge (« la bande à Baader »), et rend avec brio cette époque à la fois lointaine et éminemment proche.

Dans une interview donnée à Lons-le-Saulnier, le 16 avril 2015, Jean-Gabriel Périot revendique son engagement proche de l'agit' prop théorisée par Lénine. Ses films sont un langage d'action politique. Ses courts métrages The Devil (sur les Blacks Panthers), Les Barbares (opposant grands du monde et peuple), L'Art délicat de la matraque ou Eût-elle été criminelle... (sur les femmes accusées de collaboration horizontale durant la guerre) en attestent. Il joue de la manipulation d'images. de montages syncopés sur des musiques ad hoc, privilégie le discours à l’esthétique. « Dans mes films, je ne donne pas de réponses. je suis déjà content quand j'arrive à poser les questions. » Sélectionnée et primée dans les festivals du monde entier, son œuvre se veut donc subjective, laissant à chacun la liberté d'apporter sa propre opinion. Dans The Devil, le dialogue entrait pour la première fois dans ses montages « d'images d'archives ». Avec Une jeunesse allemande, il réalise son premier long métrage, selon les mêmes principes mais, aux conséquences de la violence, notamment celle des autres. il apporte son explication sur celle de ceux dont il se sent proche... « Ils te semblent dangereux car tu pourrais les comprendre », dit un homme à une femme à la fin. Jean-Gabriel Périot nous/se propose de chercher comment et pourquoi une jeune journaliste (Ulrike Meinhof), un cinéaste alternatif (Holger Meins), deux étudiants (Andreas Baader et Gudrun Ensslin, par ailleurs comédienne), et un avocat d'affaires (Horst Malher), tous instruits et de milieu bourgeois, sont passés. entre 1965 et 1977, de la revendication à la lutte armée « terroriste ». Contrairement à ses habitudes. le cinéaste resitue ici les archives dans leur contexte : la honte du nazisme chez les jeunes Allemands, le choix du capitalisme (rhénan), la guerre du Vietnam... Puis il nous embarque auprès de ceux qui deviendront « la bande à Baader ». Et c’est vrai que rien alors ne laisse présager leur devenir violent. Enfin, au fil des manifestations et de leur répression, ponctuées de moments clé comme la mort du sociologue Rudi Dutschke abattu de trois balles par Josef Bachmann, un ouvrier, peut-être d’extrême droite, il montre l'inexorable radicalisation entre l'État avec ses institutions (dont la presse) et « la Bande à Baader », laquelle connaît son acmé en 1972 en termes d'attentats et de morts. Pour finir sur l'arrestation et le décès. en 1977, de ses membres. Avec brio, Périot nous rend cette époque à la fois lointaine et éminemment proche. Ceux qui l'ont vécue la revivront. Les autres la découvriront. Dommage qu'il ait fait l'impasse sur la Guerre Froide : on ne peut comprendre la violence de l'État allemand si on oublie qu'au début du documentaire nous sommes à Berlin, que le Mur a à peine trois ans, la crise de Cuba quatre, qu'Occident et pays de l'Est sont dans une paranoïa totale. Mise à part cette réserve, le point de vue proposé est convaincant et dynamique. L'analyse de la radicalisation, la manipulation sémantique bien montrée (Ulrike Meinhof passant de « journaliste » en 1970 à « anarchiste » en 1972, puis « terroriste » en 1976). Un documentaire à voir car il en dit aussi beaucoup sur la violence aujourd'hui.

 

Gilles Tournan
Les fiches cinéma
13 octobre 2015